Apprivoiser la polycrise: une nécessité

Apprivoiser la polycrise: une nécessité

Christopher Cordey

Image: Pexels

Face aux crises qui s’entremêlent et s’intensifient – sanitaires, géopolitiques, logistiques, climatiques, économiques – la «polycrise» révèle les vulnérabilités de nos systèmes mondiaux. En Suisse, où la stabilité est souvent perçue comme acquise, il devient urgent d’adopter une nouvelle mentalité face au chaos, à la complexité et aux contradictions. Cet article examine comment et pourquoi les entreprises suisses, notamment dans les secteurs des achats et de la logistique, doivent passer d’une approche réactive à une gestion proactive, intégrant anticipation, adaptation et vision systémique pour transformer les polycrises en opportunités d’innovation et de croissance.

Comprendre la polycrise

Imaginez une table de billard suspendue entre montagnes: chaque boule représente une crise qui, une fois frappée, déclenche des répercussions en chaîne, amplifiant l’instabilité. Cette image illustre la fragilité des systèmes mondiaux et la nécessité d’une coordination systémique pour éviter l’effondrement.
Une polycrise va au-delà d’une simple accumulation de crises; elle décrit un contexte où plusieurs crises – sanitaires, géopolitiques, climatiques, économiques, sociales – se déclenchent simultanément ou en succession rapide, exacerbant leurs impacts. Dans une polycrise, chaque événement accentue les effets des autres, créant des répercussions imprévisibles et complexes. La pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, et les tensions en mer Rouge en sont des exemples récents, révélant les fragilités des systèmes économiques et logistiques mondiaux.

 

Effet d’amplification: les interactions multipliées

La crise du Covid-19, avec ses fermetures de frontières et restrictions sanitaires, a paralysé les chaînes de production et logistique mondiales, entraînant ruptures d’approvisionnement et hausse des coûts. La guerre en Ukraine, quant à elle, a exacerbé ces tensions, provoquant une crise énergétique et des hausses de coûts pour les industries dépendantes de l’énergie. Couplées aux effets climatiques extrêmes, ces crises illustrent la puissance amplificatrice de la polycrise et la nécessité d’une gestion systémique et anticipative.

 

Chaque crise est unique

Comme l’a souligné Goepf Lanz, Head of Operations de Nestlé Suisse lors du 23e GS1 Forum Logistique Suisse, chaque crise est unique et appelle des réponses spécifiques. En situation de polycrise, il est essentiel de créer des structures d’anticipation et de gestion de crise flexibles, capables de prendre des décisions rapides et de s’adapter à des scénarios imprévus. La mise en place de cellules de crise, de protocoles de communication rapide, et de solutions de sourcing alternatif est cruciale, mais doit être renforcée par des stratégies de diversification et de digitalisation pour une visibilité accrue sur les chaînes d’approvisionnement.
Un tiers des entreprises interrogées dans le cadre d’un sondage Procure Romandie (2023) et lors du 23e GS1 Forum Logistique Suisse ne disposant ni de cartographie ni d’outil de gestion des risques, il est impératif d’adresser ces lacunes pour renforcer la résilience de ces secteurs stratégiques pour l’économie suisse.

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Et maintenant?

Au lieu de céder à la panique ou à l’inertie face aux crises, il est vital d’adopter une approche résiliente intégrant calme, rationalité et anticipation. Voici quelques pistes concrètes:

Dédramatiser la polycrise

La polycrise n’est pas une fatalité, mais une réalité à gérer. Elle devient gérable lorsque les entreprises identifient en amont les déclencheurs et cartographient les interconnexions, plutôt que d’attendre l’émergence de la crise. En dédramatisant et
en décomposant la polycrise en risques et opportunités, elles transforment la complexité en éléments quantifiables et exploitables pour une gestion proactive.

Vers une pensée systémique et holistique

Naviguer dans un monde chaotique exige une pensée systémique qui dépasse les
analyses isolées. Les entreprises suisses, notamment dans la logistique et les achats, doivent intégrer cette vision holistique, tenant compte des dimensions économiques, environnementales, géopolitiques et technologiques, mais pas que. Passer d’une gestion réactive à proactive signifie penser en termes de flux et d’interconnexions, et non en crises isolées.

Explorer, simuler et réfléchir en profondeur

Chaque crise est unique et imprévisible, d’où l’importance de structures internes souples et réactives, comme des cellules de crise dédiées avec protocoles clairs et canaux de communication efficaces. Ces cellules doivent aller au-delà de la réaction immédiate, en explorant et simulant en profondeur les vulnérabilités, fragilités, incertitudes, et dépendances de l’organisation.

Travailler sur les biais cognitifs

Face à l’urgence, les biais cognitifs (confirmation, statu quo, ancrage) peuvent pousser à des décisions court-termistes. Développer une conscience collective de ces biais est essentiel pour garder une objectivité et une froideur rationnelle face à l’adversité. Former les équipes à identifier et limiter ces biais est crucial pour des décisions lucides.

Des données de qualité: un levier clé

Dans un monde interconnecté, l’accès rapide et précis à l’information est un levier clé pour maintenir ou reprendre le contrôle. Les entreprises peuvent s’appuyer sur la digitalisation et des outils de gestion de données pour suivre en temps réel les fluctuations de leurs chaînes logistiques, assurant ainsi transparence et traçabilité.

Conclusion: reprendre le contrôle

Naviguer dans la polycrise exige un changement de mentalité, en particulier en Suisse, où la stabilité apparente masque des vulnérabilités face aux crises complexes. Sans une approche systémique, des structures dédiées, et des outils digitaux adaptés, les entreprises risquent de subir les effets en cascade de chaque perturbation, ratant l’opportunité de transformer ces crises en leviers d’innovation.

Le prix de l’inaction? Une perte de compétitivité internationale, des chaînes d’approvisionnement paralysées, des coûts accrus dus aux ruptures et retards, et, au pire, un écosystème logistique suisse affaibli et incapable de résister aux chocs futurs. Le «what if not» rappelle qu’en l’absence de ce changement, l’économie suisse pourrait se retrouver exposée, fragile, et incapable de prospérer face aux turbulences globales. Tout est système.

 

Christopher Cordey

L’auteur est fondateur de «futuratinow» et de «prosilience», membre du comité de Swissfuture, associé de Yonders, et responsable des événements procure pour la Romandie. Il est co-auteur de «Heidi réveille-toi! La Suisse est-elle tombée dans les pièges du succès?».

cordey@procure.ch