La cherté du franc: un souci pour la Suisse – procure.ch

La cherté du franc: un souci pour la Suisse

publié le l'auteur: Jean-François Krähenbühl

Le thème du franc fort a été complètement oublié ces derniers mois, mais il reste d'actualité.

Réagissant à un reportage montrant que notre économie avait surmonté la crise monétaire de 2015, un patron de PME conteste ce qui serait devenu la norme. S’il admet que le cap a pu être passé, il est d’avis qu’une bonne partie de l’industrie en a payé le prix. L’entrepreneur est formel: le taux de change élevé du franc suisse reste un problème pour les sociétés exportatrices.

Le 15 janvier 2015, la Banque nationale suisse (BNS) décidait d’abandonner le taux plancher fixé à 1 fr. 20 pour un euro. La nouvelle avait fait l’effet d’une bombe pour l’industrie d’exportation. Sept ans après, le franc fort pèse toujours sur la marche des entreprises. Elles sont contraintes de rogner sur leurs marges pour pouvoir rester compétitives, ce qui réduit leur potentiel d’investissement dans l’innovation. La situation est d’autant plus complexe pour les sociétés exportatrices qu’elles doivent affronter une économie mondialisée en pleine transformation numérique, sans parler des effets de la crise du Covid-19.

Le taux de change du franc suisse se situe aujourd’hui à 1 fr. 04 pour un euro. Même si cette quasi-parité complique toujours la vie de nombreuses entreprises, l’industrie de notre pays a fait preuve d’une résilience plutôt inattendue. Celle-ci a appris à anticiper davantage pour contrecarrer ce manque de productivité. Cette crise a même constitué un stimulant au point qu’un certain nombre d’entreprises affirment aujourd’hui que ce taux ne constitue plus vraiment un problème. Elles disent en avoir profité pour revoir leurs modes de production et rendre ainsi leurs produits plus compétitifs. C’est vrai pour certains secteurs, mais ce n’est de loin pas la règle, car un certain nombre de sociétés continuent de souffrir du franc fort.

Encore une préoccupation

«Quand je vois un article comme ça, je me demande si je vis dans un autre monde ou s’il y a des gens qui sont un peu loin de certaines réalités.» C’est par ces mots forts que Josep Castellet, CEO de Pomoca, leader mondial dans la production de peaux de phoques, a réagi sur LinkedIn à un article de RTS Info affirmant que le franc suisse, au plus fort depuis six ans, ne faisait plus si peur à l’industrie. Ce qui l’embête un peu, nous glisse-t-il au téléphone, c’est que le thème du franc fort a été complètement oublié ces derniers mois, comme s’il ne constituait plus un problème. «On vit à une époque où le sensationnalisme occupe la une des médias, au détriment de problèmes qui persistent. La cherté du franc suisse reste un souci pour l’industrie exportatrice. Nous vivons depuis six ans avec un taux de change surévalué. L’économie suisse a certes survécu à cette crise, mais je ne pense pas que l’industrie l’a oubliée.»

L’article en question rappelait que si un euro s’échange aujourd’hui contre seulement 1 fr. 04 franc, peu d’exportateurs s’en plaignent aujourd’hui. Bien que le franc fort rende ses produits plus chers à l’étranger, l’industrie nationale aurait su s’adapter à cette réalité. Et l’article de donner la parole à une dizaine d’entreprises qui, en dépit d’un taux de change qui augmente encore le prix des produits exportés, disposent d’un agenda bien rempli et de commandes qui ne cessent d’affluer. Comment expliquer ces succès commerciaux? «L’innovation, l’innovation, l’innovation», répond Nicola Thibaudeau, CEO de Micro Precision Systems (MPS) située à Bienne (BE), sur le site de la RTS. «On a mis énormément d’innovation, autant dans le produit au départ, pour qu’il coûte moins cher au client, que d’innovation dans la production, pour que cela nous coûte moins cher à produire.»

«On innove pour survivre»

Les marges s’érodent donc, mais il semblerait que l’innovation permette de baisser les coûts et de se rattraper. Le Catalan d’origine réplique: «La Suisse excelle certes au plan de l’innovation», reconnaît Josep Castellet. «Il faut cependant voir lorsque je suis arrivé en Suisse en 2009, avec un taux de 1 fr. 50, on venait de connaître une chute depuis 1 fr. 65 en dix-huit mois!» Sa société vend tout en euros, en dehors de la Suisse. Ses concurrents français et américains ne souffrent pas du franc fort et innovent également. Produire 30% d’innovation en plus pour pouvoir rester à flot, c’est assez dur pour lui… «On innove donc pour survivre et pas pour gagner davantage», explique-t-il. «En douze ans, nous avons multiplié notre chiffre d’affaires par dix, mais nos marges ont diminué en raison de la cherté de notre devise.»

Pour l’industriel, les Suisses ne sont pas des «supermen». Nombreux sont ceux qui ont tendance à penser que notre pays peut surmonter toutes les crises, se croire meilleur que les autres et vivre en autarcie... C’est oublier, à ses yeux, que notre monde se globalise de plus en plus. Un message à l’endroit de la Banque nationale? S’il n’est pas expert en macro-économie, Josep Castellet assure que l’industrie a besoin de stabilité. Si la BNS ne parvient pas à garder un taux de change adapté, cela signifie pour lui que la Suisse n’est pas un pays adéquat pour l’investissement industriel orienté vers l’exportation. «Le franc suisse est une monnaie refuge, certes, mais il fluctue trop, ce qui peut décourager les investisseurs.» 

Compétitivité érodée

Son constat est que notre pays se désindustrialise peu à peu, même si l’horlogerie et la pharma vont bien. A ses yeux, de nombreuses PME, qui sont la base de notre économie, ont disparu ou ont dû délocaliser. Il est d’avis qu’il faut arrêter de penser que l’économie suisse est invincible et que l’on peut surmonter… «Ce discours nous pousse à rester dans notre zone de confort et pas à nous challenger. Depuis douze ans en Suisse, j’ai le sentiment que notre compétitivité s’est plus érodée que renforcée. 

Il y a de très bonnes choses (marché du travail, stabilités politique et juridique), mais une réalité demeure: si nous avions conservé le chiffre d’affaires de 2015, aujourd’hui, nous serions en faillite. Par chance, nous évoluons dans un secteur en forte croissance: le Covid nous a permis d’accroître nos revenus de manière substantielle.» 

Jean-François Krähenbühl

Juriste de formation, Jean-François Krähenbühl est chargé de communication auprès de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie (CVCI) depuis 2017. Auparavant, il a exercé le métier de journaliste dans divers médias écrits romands, dont «Le Matin» et «24 heures».